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  • Photo du rédacteurjuliettehen6

Du Brésil aux Îles Falkland


 

Lundi 6 Novembre

 

Position : 47°30’9 S et 56°15’1 W

 

Bonjour,

 

Voici dix jours que nous avons laissé derrière nous les côtes verdoyantes du Brésil et nous ne sommes plus qu’à deux ou trois journées de mer de Port Stanley, aux îles Falkland. N’ayant à bord que des moyens rudimentaires de prendre la météo, on ne sait jamais très bien à quoi s’attendre au-delà des premiers jours, qui en théorie dans le cas présent devaient nous permettre de bien avancer. Je dis en théorie, car la réalité se révèle bien souvent en mer fort différente de ce qui a été prévu, et ce fut inévitablement le cas ! 

 

Nous quittons donc Florianópolis au portant, après avoir attendu quelques nuits au mouillage que le vent tourne au Nord. C’est presque une première pour nous, qui semblons attirer les vents contraires depuis le début de notre périple. D’ailleurs, c’est évidemment trop beau pour durer. A peine 48h après notre départ, le vent revient au secteur Sud, et nous alternons de nouveau des périodes de navigation au près, et au moteur, en fonction de la force du vent. Le vent oscille en force et en direction, souvent plutôt dans le nez, mais parfois tout de même favorable, et bonnant mallant, nous grapillons les milles vers notre but. Pour trois jours « confortables », on a en général une journée un peu plus sportive où les conditions de vie à bord deviennent nettement moins agréables. Pour la région, disons qu’on s’en sort plutôt très bien. On a réussi à donner 2 bains à Louis, c’est une bonne échelle de confort en mer…puisque cela suppose que l’eau puisse rester dans la baignoire (enfin sans compter les inévitables éclaboussures sans quoi le bain ne serait pas si amusant pour bébé) !

 

Le 31 octobre marque le retour en force des albatros. Nous sommes soudainement entourés de nombreux oiseaux de mer, la majorité étant des albatros à sourcil noirs, mais on observe aussi quelques grands albatros (hurleurs et royaux), des pétrels à menton blancs, des pétrels géants...et même quelques petits damiers du cap qui sont parmi mes préférés. Bref, tous les oiseaux des latitudes australes que l’on connaît bien et qui nous rappellent que la maison n’est plus très loin. La température a dramatiquement chuté dehors, et celle de la mer aussi. Notre thermomètre affiche une eau à 8,9 degrés !  Le froid se ressent un peu dans le bateau aussi, mais notre travail d’isolation semble avoir porté ses fruits tout de même, car nous n’avons pas besoin d’allumer le chauffage.

 

Louis a entamé son quinzième mois de vie à la porte des quarantièmes rugissants. Il s’éveille au monde un peu plus chaque jour, s’appropriant l’espace du bord à sa façon, inventant milles jeux nouveaux jour après jour et devenant de plus en plus indépendant. On ne sort quasiment plus sur le pont lui et moi, par flemme d’enfiler des couches de vêtements, ou par peur d’être mouillés, souvent un peu des deux. En revanche, il peut désormais observer à loisir les oiseaux planant le long du bord depuis son petit perchoir sur la table à cartes, et c’est une activité à laquelle il semble prendre beaucoup de plaisir. J’aime rester près de lui et lui expliquer quel oiseau nous regardons. Il dit un petit mot en les montrant du doigt qui ressemble à « batros ». C’est très clairement une interprétation de ma part, mais du coup même nous nous commençons à dire « oh un batros » lorsque les albatros viennent faire un virage sur l’aile à proximité du bateau !

 

Aujourd’hui, Lundi 6 Novembre, nous traversons le quarante septième degré Sud. C’est à cette latitude qu’il y a bientôt cinq ans, Arnaud, mon ex-mari, et Sophie, une très bonne amie, furent fauchés par une vague et perdus en mer alors qu’ils revenaient de Géorgie du Sud à bord du voilier Paradise. Leur absence nous est toujours difficile, mais le temps a permis peu à peu d’accepter cette fortune de mer et de se concentrer sur les beaux souvenirs ensemble. J’avais pour mission de jeter à la mer des bouteilles remplies de messages de proches et d’amis que les enfants d’Arnaud avaient rassemblés peu après sa disparition. La mer était calme, le soleil brillait, et le vent était quasiment nul. Un petit pétrel tempête a croisé notre sillage juste avant que je ne jette à la mer les derniers mots confiés à ce grand marin. Ce soir le vent remonte, le soleil en se couchant a teint de pourpre les nuages peignant un magnifique tableau comme souvent sous ces latitudes. Demain matin sans doute, les albatros reviendront planer autour de nous, et alors je prendrais le temps de bien les regarder encore une fois, en pensant à tous nos amis disparus et aux beaux voyages qu’ils font maintenant sur les ailes de ces majestueux oiseaux.

 

            

Alors que la traversée touche à sa fin, une sensation d’ambivalence me tiraille entre la joie d’arriver bientôt chez nous, de retrouver notre maison, notre île, et un peu d’espace, et d’un autre côté la nostalgie du voyage qui se termine, et d’une page qui va inéluctablement se tourner. Voici presque trois mois que nous avons quitté la France, largué les amarres et vécu dans notre petite bulle tous les trois, à la fois libres comme l’air et contraints par les éléments, avec une infinité de bleu tout autour bien qu’étant confinés à bord de notre petit voilier ; mais par-dessus tout, merveilleusement proches, unis et dans notre propre espace-temps. Trois mois qui sont passés tellement vite, et au cours desquels se sont passés tant de choses, sont venues se greffer tant d’émotions. Trois mois qui resteront gravés dans nos mémoires comme un merveilleux voyage initiatique pour notre petit bonhomme dont la personnalité s’est affirmée un peu plus chaque jour, et dont les adorables sourires nous ont fait goûter un peu plus chaque instant.

C’était la première fois que je faisais une grande navigation à mon rythme, c’est-à-dire sans clients à bord, sans pression d’arriver à temps pour attraper un avion ou autre. Première fois aussi que je n’ai presque pas mis les pieds sur le pont de tout le voyage, tant j’étais prise à d’autres tâches, principalement celle de m’occuper de mon fils. Cela me fait même sourire de penser que naturellement, nous avons adopté un fonctionnement un peu macho, Dion s’occupant de manœuvrer le bateau, et moi de faire à manger et m’occuper du petit. On m’aurait dit ça il y a dix ans, j’aurais bondi ! Et pourtant, je n’ai pas du tout souffert de la situation, j’avais tant à faire que cela m’allait bien de ne pas avoir à me préoccuper du bateau. J’étais là, prête à aider si besoin évidemment, mais dans la pratique, Dion ne m’a quasiment jamais sollicitée. Je sais que j’y reviendrais, et que je serais sans doute très heureuse de retrouver les winches, les réglages de voiles, les quarts de nuits et les embruns qui vous giflent le visage. Mais pour l’instant ce n’est pas le moment. Il y a un temps pour tout. Mon tout petit a encore beaucoup de besoin de moi, et je sais que ça ne durera pas. Aussi, je profite d’avoir le luxe de prendre simplement le temps d’être là pour lui, avec lui.

 

Alors je savoure les derniers instants de ce beau voyage qui se termine, en essayant de ne pas trop penser à la suite. Je reste dans ma bulle, notre bulle. Louis dort paisiblement dans notre cabine, bercé par le son de l’eau qui glisse contre la coque de « Beaufoy ».

 Dans quelques jours nous serons à Stanley, nous retrouverons un semblant de civilisation, retrouverons une connexion au monde extérieur, et ce carnet de bord pourra être publié. Il restera tout de même une dernière petite étape pour rallier Beaver et nous installer dans notre petite maison à terre, ce qui sonnera vraiment la fin du voyage. J’aurais donc d’ici une semaine ou deux encore quelques bords salés à vous conter, des pensées à partager, et d’autres photos pour illustrer le retour chez nous. Je vous souhaite d’ici là une excellente fin de semaine !

 

 

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